Elouise Cobell, héroïne de la cause indienne,
est morte
Le Monde.fr
October 18, 2011
Elouise Cobell, héroïne de la défense des Amérindiens, est morte à 65 ans d'un cancer, dimanche 16 octobre à Great Falls (Montana) avant que l'œuvre de sa vie ne soit totalement achevée. Après quatorze ans d'une lutte judiciaire acharnée, cette arrière petite-fille du chef indien Moutain chief, avait obtenu en 2009 devant le tribunal fédéral de Washington, un dédommagement de 3,4 milliards de dollars pour des centaines de milliers d'Indiens spoliés. Le président Obama avait signé fin 2010 la loi avalisant l'accord mettant un terme à cette "class action" ("action collective"), la plus massive – 400 000 plaignants – jamais plaidée. Mais des procédures d'appel toujours en cours empêchent les plaignants de percevoir les indemnités allouées.
Enfant, Elouise Cobell avait entendu les anciens de sa tribu des Blackfeet du Montana, évoquer les sommes d'argent promises par l'Etat fédéral et jamais versées. Des études supérieures de comptabilité l'avaient hissée aux fonctions de trésorière des Blackfeet. Elle avait alors découvert les malversations commises autour du Trust fund, le fonds créé dans les années 1880 pour gérer les terres attribuées aux Indiens. A cette époque, le Congrès avait cherché à briser la force collective des tribus en découpant les réserves par lots de 160 acres et en les attribuant individuellement. Mais les Indiens, étant alors considérés comme "incapables" juridiquement, la gestion de leurs propriétés avait été confiée à l'administration fédérale.
Elouise Cobell avait découvert le caractère totalement calamiteux de cette gestion. Les revenus tirés de la location des terres indiennes à des éleveurs ou à des exploitants pétroliers n'étaient pas du tout, ou seulement partiellement reversés à leurs propriétaires. L'argent des Indiens a longtemps contribué à éponger la dette de l'Etat fédéral.
Après avoir tenté en vain un règlement à l'amiable au début des années 90, la comptable indienne avait, avec quatre autres plaignants, porté l'affaire au contentieux en attaquant le ministère de l'intérieur, chargé de redistribuer les fonds collectés par le Trésor. L'administration ayant été incapable de fournir les justificatifs comptables et ayant même détruit des preuves, les tribunaux ont cherché à estimer le montant de l'indemnisation du dommage subi.
Mais l'acharnement d'Elouise Cobell, avait fini par avoir raison de tous les obstacles. Il avait fallu pas moins de 220 jours de procès, 80 jugements et d'énormes honoraires d'avocats, pour qu'elle remporte la victoire. En juin dernier, le juge Thomas Hogan avait définitivement approuvé le jugement de première instance et fixé à 99 millions de dollars le dédommagement versé aux avocats, en adressant à la militante indienne un hommage appuyé : vous avez "obtenu pour chaque Amérindien plus qu'aucune autre personne que je connaisse dans l'histoire récente". Quelques semaines avant ces fortes paroles, Elouise Cobell avait appris qu'elle souffrait d'un cancer.
Le succès judiciaire ne lui avait pas valu que des amis : certains Indiens estiment que Mme Cobell et ses avocats ont obtenu une trop grande part du "gâteau" de l'indemnisation et ont interjeté appel. L'héroïne, espérait que son combat allait consolider l'unité des 565 nations indiennes que comptent les Etats-Unis. Désireuse de prolonger son action, elle avait fondé la Native American Bank, première banque américaine détenue par des Indiens, dévolue à la distribution de prêts aux Indiens. Elle avait aussi mis sur pieds des "mini banques" à vocation pédagogique, "pour apprendre aux nouvelles générations à gérer leur argent et leurs biens".
Souvent vêtue de jaune pour évoquer son nom indien de "yellow bird", Elouise Cobell avait – rareté pour une femme – été élevée au rang de "guerrier" par les Blackfeet, sa nation d'origine. Ces derniers temps, elle s'inquiétait du retard dans le versement des indemnités, consécutif aux procédures en appel, alors que régulièrement, des bénéficiaires de cet interminable procès, disparaissent.